2009 - La Grosse Biesse revient de la Belle époque

Texte de Jean-Louis Troquet

En un temps pas très lointain, on se préparait à franchir la barre du 19ème siècle pour entrer dans le 20ème siècle, temps de merveilles et de modernité. Pour fêter cela, le bourgmestre de l'époque, à Marche, qui, comme l'actuel, se réveillait tous les matins avec une nouvelle idée sous l'oreiller, en eut une lumineuse (d'idée, hein, Biesse!) : organiser un jumelage avec le Petit Peuple des Nutons du Fond-des-Vaulx, voisin incontournable, séculaire (voire millénaire) et pourtant si méconnu des Marchois.

Aussitôt pensé, aussitôt réalisé : le Comité des Fêtes de l'époque, aussi dynamique et potchard que celui d'aujourd'hui, mit cela en place : feu d'artifice, ripailles sur les deux places, " karaoké " d'époque et, surtout, défilé. Gros, gros défilé (non pas avec des éléphants, avec des Nutons, cela aurait été mal venu).

Oui, mais voilà : quand le défilé commença, quand les nutons se mirent à parcourir la ville, ils avaient à leur tête leur nouveau prince. Et celui-ci était si petit (le comble pour un Nuton !), si fragile, si rabougri, si riquiqui que les méchants Marchois se mirent à se gousser, à rire de lui et, même, à lui jeter des morceaux de wasté moisi. Ulcéré, le prince des Nutons quitta aussitôt la ville, se retira au Fond-des-Vaulx et jura de se venger. Il fit quérir le Sorcier de Waillet, un vieux mage (de Herve) perclus de rancune et de rhumatismes, qui avait eu son heure de gloire au service de la ville de Marche, avait été rejeté et ne rêvait que vengeance. Il lança un premier sort sur la ville. Celle-ci, à juste titre, était fière de ses commerces et de ses commerçants. Or, à partir de ce moment, le pain du boulanger se mit à durcir en moins d'un quart d'heure, les souliers du chausseur sachant chausser compressèrent atrocement les orteils des chalands, la bière vit tomber sa mousse, le matoufé n'eut plus de goût... Bref, l'horreur !

Le bourgmestre riposta : il fit envahir les prés sacrés des Nutons par les vaches poilues du bon docteur Bonpain, que les gnomes avaient en horreur (les vaches, pas le docteur... quoique...)

Le Sorcier lança un deuxième sort : celui-ci fit que les commerces ne purent ouvrir le dimanche et que, ce jour-là, les rues furent condamnées à rester privées de toute présence humaine.

Mais...mais...mais...Et la Grosse Biesse, dans tout ça ? me direz-vous. Justement, on y arrive. Fatigués de cette gueguerre inutile, les Marchois s'en allèrent la trouver, car ils savaient la grande ascendance qu'elle pouvait avoir sur le Petit Peuple. Tout d'abord, l'histoire la fit bien rire puis elle se décida à intervenir : elle carbonisa le vilain sorcier, elle jeta au plus profond du Trô-Thyôfosse le prince susceptible, elle instaura à sa place Grôfanfan, le nuton géant, tout de prestance et de corpulence, elle renvoya les vaches à poils, bref, en moins de temps qu'il ne faut pour gober un Baiser de Marche, elle remit de l'ordre.

Tous l'en louèrent et l'en félicitèrent.
Certaines mauvaises langues disent que les malédictions du Sorcier de Waillet n'ont pas tout à fait été levées mais ce sont des " mwèches geuyes " et tout le monde sait qu'à Marche il y en a toujours eu.