Le Carnaval de Marche a suscité de nombreuses recherches, et parmi elles, celle du Cercle Historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux se distingue par son intérêt particulier. Plongez dans l’histoire fascinante de cet événement, des premières origines jusqu’à son évolution actuelle.
Dans les annales 2010 du Cercle Historique de Marche-en-Famenne, Hotton et Rendeux, Jacques Rossignon, président honoraire du Royal Syndicat d’Initiative propose une étude historique sur le carnaval de Marche, devenu aujourd’hui le carnaval de la Grosse Biesse.
Le texte est brut, tel qu’il est imprimé dans ce document, le 25e du genre, les Annales 2010 du Cercle historique de Marche.
Le Carnaval de Marche, heureux et très fier, vit sa 50ème édition. Il s’impose de plus en plus dans la vie festive marchoise. Son cortège du dimanche gras s’étoffe toujours plus. Ses chars réalisés avec goût et imagination féconde, ses groupes, les uns marchois, les autres venus de la région entière, font l’admiration de la foule participant volontiers à l’ambiance joyeuse des rues de la ville. Mais ne nous y trompons pas, le carnaval marchois vécu actuellement est la dernière mouture en date de cet événement dont les origines s’estompent dans le passé. Il répond aux souhaits de la population et attire immanquablement une foule qui y vient tout exprès des quatre coins de la Wallonie et de Flandre, même aussi de France et des Pays Bas.
De quand date le carnaval marchois ?
Nul ne peut le préciser. Richesse de notre patrimoine culturel, il nous amuse depuis plusieurs siècles, c’est une certitude. Toutefois, à ce jour, personne n’a encore déniché le moindre indice quant à l’année de sa fondation. Marche partage donc le privilège de bien d’autres cités carnavalesques, tant belges qu’étrangères, dont Binche, du mystère de l’ancienneté de son carnaval.
Fin du XIXe siècle, de nombreux journalistes s’en sont tenus à cette « légende » que le carnaval binchois remonterait au XVIe siècle, pour être précis le 22 août 1549, quand Marie de Hongrie, accueillant son frère Charles Quint et son fils Philippe II d’Espagne, dans son désir d’éblouir ce dernier organisa, en leur honneur, de fastueuses cérémonies et réjouissances.
D’autres sources soutinrent que le carnaval binchois, baptisé à ses débuts « Quaresmiaux » avec le « Cras Dimence » (dimanche gras) était antérieur à 1395. En ce temps lointain les « grands feux » flambaient déjà pour chasser les mauvais esprits, combattre les forces du mal et fêter le renouveau printanier. L’éminent folkloriste Samuel GLOTZ n’en a-t-il pas dit « le carnaval est un maillon de cette longue chaîne de la célébration universelle du retour du printemps ?».
Le carnaval de Marche ne peut prétendre que ses prémices remonteraient aussi loin dans le temps. Toutefois, selon les recherches du correspondant de presse marchois Albert RENSON, la tradition orale situe l’apparition de « GUGUSSE », symbolisé par une poupée de chiffon, petit personnage marchois, gai luron, moqueur et patriote, qui à l’époque espagnole (vers 1550), se moquait et menait la vie dure aux occupants. Toutefois aucune trace écrite de ce folklore ancestral n’étaie cette thèse.
Mais un autre personnage mythique, « HARBOUYA » n’avait-il pas connu la vedette de notre carnaval avant « GUGUSSE » ? Un petit mystère toujours entier à ce jour.
Harbouya qu’à tant de Mâ
La brochure « La Terre Wallonne » du 15 février 1922, à propos du calendrier du Folklore Ardennais, évoquait notamment certaines anciennes coutumes du carnaval de Marche.
Voici ce qu’elle en disait : « Il y avait d’abord le cortège d’Harbouya. Sur un drap de lit que six ou huit masques portaient par les coins et par les bords, un mannequin était couché : c’était Harbouya. D’étape en étape, surtout aux carrefours, les porteurs s’arrêtaient et faisaient danser Harbouya sur sa couche, en relâchant et en tirant le linge par à-coups. On lui imprimait ces soubresauts en cadence, au rythme d’une vieille pasquèye wallonne, assez connue, je pense
Harbouya qu’a tant dè mâ,
Harbouya qu’a tant dè mâ,
L’a mâ c’pid-ci
L’a mâ c’pid-là
Il est malâde,
I fât qui mour.
Ah ! pauve Harbouy
Fât-i qu’ti mour, fât-i qu’ti mour
Ah! Pauve Harbouya
Fât-i qu’ti mour di tot çoula !
Et la foule s’amassant joyeusement autour d’Harbouya, entonnait en chœur le refrain, surtout après le dernier couplet.
Autre particularité, durant le cortège d’Harbouya, celle de « A l’Amande ». Vers quatre heures du soir, à la sortie des écoles, un masqué se tenait sur le perron d’une des maisons le long de la Marchette traversant le centre ville. Il était armé d’une gaule, tel un pêcheur de ligne, mais avec, en guise d’hameçon, une friandise (praline ou biscuit) et originairement une amande. Il jetait son hameçon au milieu des enfants qui tous, la bouche grande ouverte, cherchaient à la happer. Le jeu se réitérait de perron en perron. »
Gugusse dans l’entre deux guerres
Avant la dernière guerre, le carnaval marchois se déroulait traditionnellement le mardi-gras, jour férié à l’époque, et tous les patrons donnaient congé à leur personnel.
Gugusse et ses porteurs pratiquaient son bernement (autrement dit son lancement en l’air en le faisant rebondir d’une couverture qu’on tient tendue). Ceux-ci scandaient « A dri, à dra, youp tata Gugusse ». Les pleureurs, eux, très probablement inspirés par la chanson d’Harbouya, se lamentaient en gémissant « pauvre petit Gugusse ». Tous, les visages cachés sous des loups noirs, étaient revêtus de grands draps de lit blancs et coiffés de taies d’oreillers, blanches elles aussi.
Les musiciens de l’Harmonie jouaient leur répertoire entraînant.
A l’image de ce qui se pratiquait dans le cortège d’Harbouya, des porteurs de perches, au bout desquelles pendaient des « saurets» trempés préalablement dans du sirop de Liège, incitaient les gosses à attraper les poissons avec la bouche,
Tout le cortège se faisait un « devoir » de ne jamais passer outre d’un café sans y entrer et s’y désaltérer, avant de gagner le rassemblement autour du grand feu.
Le soir tombé, c’était la traditionnelle sortie des Marchois, travestis et masqués, dans les cafés et les bals, intriguant volontiers tout qui ils croisaient.
Mais qui est « Gugusse » ?
Ce personnage mythique entouré de ses porteurs tout de blanc vêtus et les visages cachés sous des loups noirs, peut se targuer d’être la star immuable du défilé.
Le nom de « GUGUSSE » viendrait d’Auguste FABRY, un nain ayant quitté Marche en 1909.
A propos de notre vedette, M. Emile SERVAES, dans un exposé présenté au Syndicat d’Initiative de Marche le 8 novembre 1961, précisa:« En 1907 il y avait à Tirlemont un Gugusse qu’on lançait dans les fenêtres. Je connaissais aussi celui de Vilvorde et celui de Malines. Pour le Général CONSTANT, ancien habitant de notre ville, « Gugusse » devait s’appeler auparavant « HARBOUYA » et une chanson lui avait été dédiée, connue également dans le pays de Liège.
« Harbouya » serait la réédition de Malines (orp signorke). Ce nom remonterait à l’époque espagnole, mais ceci n’est qu’une supposition. Quant au drap de lit le faisant sauter, il évoquerait le souvenir de la chemise soufrée dont étaient revêtus les condamnés à périr sur le bûcher (supposition).
On peut aussi supposer que le masque des porteurs de « Gugusse » caractérisait la prudence des Marchois peu désireux de se faire reconnaître ».
Comme autrefois on brûlait « Gugusse » ainsi qu’on avait également occis plusieurs personnes à Marche, au XVIIe siècle. N’y aurait-il pas un rapport entre les deux, d’autant que l’effet espagnol avait été assez puissant dans la ville ? »
Et M.SERVAES de remarquer encore : « Le XVIIe siècle a du être assez effarant ».
Le souvenir des grenadiers
Les Grenadiers appartenaient également au folklore marchois. Qu’en a dit M.SERVAES à leur propos :
« Dans le temps les Grenadiers accompagnaient parfois « Gugusse » et suivant le Général CONSTANT, ces Grenadiers seraient la continuation des Arbalétriers de 1561. Ils pourraient remonter aux fameux Dragons Wallons de Maximilien de Latour qui avaient la réputation d’appartenir aux « bandes wallonnes ».
Les Grenadiers de Napoléon portaient l’habit et le pantalon bleus, les épaulettes rouges, le tricorne à aigrette rouge. Ils étaient équipés du fusil et du sabre. Les musiciens avaient un habit vert et un pantalon jaune, le tricorne à aigrette rouge et l’épée au coté. C’était l’uniforme de 1794. »
Il est très intéressant de noter qu’ils sont toujours présents dans le cadre des activités du carnaval comme de l’harmonie communale.
L’esprit nouveau du carnaval !
1938 : La guerre se profile de plus en plus menaçante. Les esprits ne sont plus à la fête.
1940/1945 : Chacun vit la grande tourmente qui se prolonge encore dans nos régions par la Bataille des Ardennes et ses ravages. Epoque tragique qui a effacé des esprits l’idée même de fêter le carnaval comme « autrefois ». A tout jamais ? Ou renaîtra t’elle ? Nul ne le sait. Il est si difficile après cette tragédie décimant des familles entières, bouleversant les esprits, de renouer avec « hier » comme si de rien n’était.
Heureusement tout espoir ne s’est pas consumé. Les archives du Syndicat d’Initiative nous rappellent que ce dernier reprit vie, dès 1945 en relançant la Fête des Etalages, initiative rendue difficile en raison de la pénurie de marchandises. Il fallut attendre 1950 pour que cette initiative se renouvelle, cette fois avec un succès que vécut aussi la Foire commerciale.
De 1955 à 1958, le S.I. et l’Harmonie communale, s’efforcèrent de remettre à l’honneur la sortie carnavalesque du mardi gras. Cette volonté de ranimer l’esprit du carnaval ne fit que croître pour lui rendre toute sa vitalité dans les années soixante avec toutefois le fait que le mardi gras n’étant plus considéré comme jour férié ne s’y prêtait plus.
Malgré ce handicap, jusqu’en 1960 la sortie de Gugusse, le mardi gras, fut respectée, le Syndicat d’Initiative veillant, pour sa part, à combler de friandises les gosses accrochés au cortège. De plus, il donna à la tradition un souffle nouveau, en organisant dans la salle du Casino, le bal masqué et travesti du carnaval.
L’année du renouveau
1960 fut l’année du renouveau carnavalesque dans la capitale de la Famenne avec, le dimanche gras cette fois, la présentation d’un cortège particulièrement coloré de chars et de groupes dans lequel « Gugusse » et sa cour jouaient les vedettes, sans pour autant renoncer à leur ancestrale et joyeuse sortie du mardi gras.
Pour le Syndicat d’Initiative, responsable de la nouvelle organisation le défi était double : inciter les jeunes à s’investir pleinement dans ces festivités et aiguiser la curiosité de la population pour lui donner l’envie de ne pas rater le cortège et de s’y amuser.
Pour conforter cet effort, l’idée-force fut de donner désormais à chaque édition du carnaval un thème précis différent (« Marche sur la lune », « Marche à l’américaine », « Marche à l’espagnole » ou d’autres sujets d’actualité) se concrétisant dans la décoration des chars et la présentation des groupes.
Depuis, d’année en année, les groupes s’étoffent et se multiplient, dynamisant l’ambiance exceptionnelle de cette parade.
Grande innovation : l’intronisation, le samedi après midi, du Prince Carnaval entouré de sa cour, de l’Harmonie communale et de différents groupes joyeux, avec remise de la clef de la ville par l’autorité communale et allocutions amusantes en français et en wallon.
Autre nouveauté, les tags taquins mais jamais méchants prenant d’assaut les vitrines des commerçants du centre ville, durant la nuit du vendredi au samedi.
En 1965, très intéressé par cet effort de renouveau, Albert MARINUS constata au colloque des Journées folkloriques de Marche consacrées au Folklore à l’ère industrielle: « Tout en admettant que le machinisme a modifié considérablement notre genre d’existence et broyé maintes coutumes folkloriques, il a, comme bien d’autres usages et faits sociaux, évolué ».
Et le folkloriste de poursuivre l’analyse de cette évolution :
« Tous les milieux sociaux doivent s’adapter aux circonstances nouvelles, le secteur folklorique comme les autres. Si certaines conceptions évoluent et que des usages disparaissent radicalement, d’autres, au contraire, s’adaptent et de nouveaux apparaissent. Si on ne les distingue pas encore bien, c’est parce qu’ils n’ont pas encore eu le temps de devenir traditionnels. Car le folklore, ne l’oublions pas, reflète ce qui se passe dans la vie sociale, un milieu mouvant et changeant. »
Ce renouveau réussi, en 1967 le Royal Syndicat d’Initiative et son compagnon de route, le Comité des Fêtes de la ville, en cédèrent l’organisation à un Comité Carnaval dynamique.
Le règne du Grand Mautchî
Cette évolution s’est réalisée sans le moindre heurt. Aujourd’hui elle se poursuit dans une ambiance sereine, se nourrissant de projets nouveaux et veillant à ce que le caractère du carnaval de Marche se distingue en s’écartant de l’ambiance typique des carnavals rhénans pour une mise à l’honneur de notre folklore régional et de ses légendes. Bon nombre de groupes marchois ont choisi des appellations appropriées comme les Nutons, les Macrâles, les Balouches, les Zibistoukets, les Turlupins, les Gozaux…
Pas de Prince Carnaval mais le Grand Mautchî.
Du Fond des Vaulx est sortie la Grosse Biesse à la gueule crachant des confettis qui, depuis 1995, donne son nom au carnaval en enrichit sa famille de très nombreux Biessons (petits dragons).
Sachez encore que « le p’tit biesson » est le titre du chansonnier du carnaval marchois, un recueil de 71 chansons qui s’étoffe, chaque année, d’un nouvel air.